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LES YEUX DE L’AUTRE

Par Philippe Milbergue
[Poésies]

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J’avais juste trente ans et j’abordais cette nouvelle décennie «  bravement Â » (je ne trouve pas d’autres mots…) en me disant qu’il serait peut-être temps que je me décide  : voulais-je vraiment me contraindre aux règles du métier d’écrivain  ?
La réponse, comme souvent, était dans la question. Dès lors que je le vivais comme «  contraintes Â » je ne pouvais que «  m’échapper Â ».
J’arrêtais alors de «  fréquenter Â », de «  relationner Â » et me mis àécrire «  simplement Â », comme on respire, comme je respirais. Le souffle  !
En fait, je m’aperçus que cela ne changeait pas grand’chose. J’avais toujours été – et je le reste – réfractaire aux «  formats Â ». Cependant, je rêvais alors, en envoyant mes textes, qu’un éditeur (je parle bien sà»r des galli-gras-seuil) me découvre. Je ne le fis plus.
J’écrivis «  Les yeux de l’autre Â », texte anti-formaliste, une coulée de lave, un cri, une pulsion sourde, un rythme, un texte contre où, pêle-mêle, se mélangent langues, chairs, mémoires. Un anti-poème impossible, improbable. Quelque chose qu’il me fallait écrire parce que je ne pouvais pas faire autrement.
Il y avait eu ORPHÉE, dix ans plus tôt, POÈME DU 11 JUILLET, cinq ans auparavant, il y avait maintenant LES YEUX DE L’AUTRE. Je parlais, enfin, de moi. Pas du «  moi Â » quotidien, ce «  moi Â » qui transparaît, forcément, dans chaque mot que j’écris, non, je parlais du «  moi Â » que je voulais être, celui qui pourrait rester bien après, celui qui me fait dire que l’immortalité existe dans le souvenir que l’on laisse. Celui qui est réponse àla seule question qui importe  : Comment me vois-tu  ?
La question posée, celle, soyons clair, de l’adéquation de sa vie et de son être, je pus reprendre une vie normale et poursuivre mes rêves d’éditions. Je savais que j’avais un texte dans mes tiroirs qui était «  moi Â ».
Je savais aussi que je ne pourrai plus rien écrire qui ne soit pas «  véritablement moi Â » et j’acceptais dès lors de ne pas écrire, de me taire, d’être, parfois, cet «  assourdissant silence Â ».
 
«  Les yeux de l’autre Â » est inédit.
 
EXTRAIT  :
 
Les rythmes et les rimes servaient d’aide-mémoire aux troubadours et trouvères. Aujourd’hui, il y a la radio. Trop de vers dans trop de bouches. Nous devons trouver autre chose.
 
PARLONS DU GRAS  !
 
Incise délicieuse qui se goà»te au lendemain des cuisines nouvelles.
 
        Du repli de la peau sur le nu qui repose
        Du menton bourrelé où nos langues se perdent
        Et ce sein qui déchoit, ce point noir qui s’expose
        A l’anus étoilé du débris de nos merdes
 
Messieurs du beau  !
J’entends exhorter céans ceux qui créent du «  nouveau Â ». Sans doute, n’ont-ils pas conscience qu’ils sont ridicules àparler d’eux sans vergogne. Où la princesse  ? Le chevalier  ? Le monstre  ? Relisons Cervantès et gardons, pour nous, la joie d’être littérature.
J’entends m’exhorter.
La langue que nous manions ne ressemble àrien.
Nous devons la pétrir pour d’autres essences
et ne plus espérer.

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