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CASTOR ASTRAL
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93500 Pantin
La naissance d’une revue est toujours un événement !
INUITS DANS LA JUNGLE a pour vocation de « démultiplier le champ d’accueil du poème  » en portant une attention particulière à « l’extra-hexagonal  ». C’est dire ici l’ambition d’être un lieu, un peuple, plus qu’une langue ou une géographie. Une ambition d’éclectisme où « tout ce qui est humain m’est proche  », une ambition portée par, oserais-je l’écrire, de « vieux routards  » de l’édition poétique : Jacques Darras, Jean Portante et Jean-Yves Reuzeau. INUITS DANS LA JUNGLE n’est pas la seule réunion de l’ex IN’HUI et de l’ex JUNGLE qui s’adjoindrait les talents des Editions PHI. Non. Cette revue est née plus d’une communion que d’une fusion, d’une rencontre et sa « ligne éditoriale  » sort volontairement des sentiers battus avec cette volonté d’être un objet du quotidien, un livre de chevet, où l’on pioche, se plonge, partage, découvre, laisse, y revient, y revient encore, lentement…
Et ce N° 1 est une réussite en la matière ! Voyons le menu ensemble et comment nous régaler tout au long de l’année en y venant goà »ter tour à tour à ces saveurs souvent inconnues venues d’Italie, d’Espagne, de France, du Liban… Oui, ouvrons, rouvrons cet opus d’une symphonie dédiée à la langue, quel que soit le langage, aux verbes, aux rythmes, à ce magnifique rythme de la lenteur qui se veut inductive plus qu’explosive. Ici Mallarmé guide, nous semble-t-il, et il n’est pas étonnant de retrouver un Jacques Roubaud au détour d’Inédits ou d’ouvrir ce premier numéro avec un dossier consacré à l’une des « grandes  » poétesses italienne malheureusement (et là , je litote…) si peu traduite en France : Alda Merini.
Le choix de textes, traduits par Viviane Ciampi, Jean Portante et Jacques Darras, parcourt l’œuvre de Merini de 1984 à nos jours et nous donne à lire quelques vers d’une intensité rare, qui, parfois, me rappelle Antonin Artaud et son double théâtral : « vous verrez mon corps actuel voler en éclats et se ramasser sous dix mille aspects notoires un corps neuf où vous ne pourrez plus jamais m’oublier.  »
Oui, nous sommes dans le mystère, au sens littéral du terme, initiatique, le mystère du verbe. Ce mystère nous le retrouverons tout au long de ce parcours proposé, ce chemin d’Inuits dans la jungle, avec, pour première halte, une très belle, une très simple écriture transalpine, pour ne pas dire plus.
La présentation liminaire nous rappelle la vie, la folle vie de l’auteur, son internement, son silence, ses amitiés. Découverte d’une œuvre qui, pourtant, déchire le monde depuis près d’un demi siècle. Oui, il me semble qu’il est bien temps qu’Alda Merini apparaissent aux sommaires de nos revues ou, rêvons, soit publiée en français.
Déjà , en 2004, Martin Rueff écrivait, dans sa présentation de l’auteur pour l’anthologie consacrée à la poésie italienne 1975 – 2004 (Po&sie 109/110 – Belin) :
« Il faudra sans doute que le visage tourmenté d’Alda Merini s’éloigne un peu pour que l’on puisse estimer à sa juste valeur une Å“uvre poétique de premier plan. Il est vrai que cette femme, jeune poétesse prodige saluée par les plus grands et devenue leur amie, marquée par la dure expérience de la folie, est devenue une icône de la culture italienne. C’est, en un sens, la desservir. On ne doute pas de l’issue. L’œuvre l’emportera.  »
Sans doute l’heure est venue que l’œuvre l’emporte et qu’elle se déploie au-delà de la langue transalpine.
Rappelons ici qu’il n’existe pas, à notre connaissance, de recueil en français d’Alda Merini. Quelques textes ont été publiés dans différentes revues et anthologies (Po&sie 109, Arsenal N° 5, Le temps qu’il fait, …) et un spectacle a été tiré de son Å“uvre « Aurore Corrosive  » (avec Anna Romano dans une mise en scène de Marcella Serli) présenté en 2005 en France, en Belgique et en Italie. Sinon, vous pouvez aussi visiter son site : www.aldamerini.com si l’italien ne vous est pas étranger…
Puis Inuits nous propose un voyage en poésie hispanique autour de 25 écrivains espagnols, tous plus ou moins en résonance avec l’œuvre de Luis Cernuda, compagnon d’écriture de Lorca, Alberti et de tant d’autres qu’on appela la « génération 27  » et qui défendirent la république jusqu’à l’exil ou la mort.
Nous retrouvons ici des noms connus comme Guillermo Carnero, l’un des chefs de file des poètes « novisimos  », Francisco Brines ou Antonio Colinas, traducteur entre autres de Pasolini, Leopardi, Sanguinetti ou Salvatore Quasimodo, dont il reste parfois des traces florentines et romantiques :
Inspirer, expirer, respirer. Il n’existe nulle autre raison
pour lui, nulle autre vérité. Et le doute qui a
de savoir qu’il ne sait pas. Et qu’un beau jour, à sa mort,
il peut être lumière ou scorie dans un ciel ou en enfer.
Et puis nous découvrons d’autres voix, comme celle de Blanca Andreu ou Carlos Marzal dont la poésie est un chant de doutes, une interrogation du quotidien :
Aucune soirée ne conduit à aucun port,
dans aucun port la fortune n’amarre.
Je ne me souviens pas très bien où nous avons perdu,
dans le dérive d’une autre soirée absurde.
Mais qui a dit que les soirées doivent
avoir un sens ?
Tous ces poètes questionnent le lien entre le monde et l’être, l’être et le monde. Nous ne sommes ni tout à fait dans le « Je  » ni tout à fait dans le « Nous  », nous sommes entre Rimbaud et Hugo qui, l’un sans l’autre, ne sont nulle part.
La présentation bio & bibliographique de chaque auteur est un vrai plus et ce dossier, conçu par Françoise Morcillo, nous offre un panorama de la poésie hispanique actuelle original où la voix des femmes est également présente avec des textes d’Amparo Amorós ou de Clara Janés, dont nous avions pu lire déjà quelques textes dans l’Anthologie de la Poésie Espagnole publiée en 1995 par Actes Sud et qui a été récemment (2007) rééditée en format de poche (9€).
La revue se poursuit avec du « lourd  » :
Une correspondance entre Jacques Darras et Michel Deguy à propos du livre « Réouverture après travaux  » et un entretien avec le poète libanais Adonis à propos de son livre Al Kitab, paru en 1995 et publié en France en 2007 par les éditions du Seuil.
Dans les deux cas, l’échange, le dialogue est loin d’être « anecdotique  ». Nous sommes dans le « sens  », la recherche de ce qui motive à l’écriture, de ce qui « fait  » le poète et non de ce qu’il fait. Je vous laisse découvrir Adonis nous parler de la relation de l’écrit à dieu, de la liberté au religieux, ou de la folie au politique. Il y a de quoi se nourrir et j’aime les bons festins.
Enfin, ce N° 1 se conclut (presque) avec un excellent article de Julien Blaine sur la poésie contemporaine et son devenir protéiforme, multi supports, multimédias, multiple tout simplement où le texte est l’un des éléments, comme vecteur, comme matière, comme forme, où tout est poésie, où la poétique prime sur la rhétorique, où nous apprenons notre ignorance hors quelques évidences d’auteurs cités (Char, Velter, Roubaud…).
Il y a dans ce texte une très belle définition du poète d’aujourd’hui :
« Un poète qui n’applique pas une théorie ou un discours sur son poème, celui-là qui ne se soumet ni au terrorisme de la paraphrase ni à l’impérialisme de l’exégétique, celui-là est un Palestinien ou un Indien. Celui-là est un poète.  »
Cette définition par la négative inscrit de fait le poète dans le refus, le combat, le retrait… Cela me plaît bien. Le poète est hors de, immergé dans, en but à , en lutte contre et qu’importe ces « de  », « dans  », « à  » ou « contre  ». Oui, cela me va, est poète celui qui ne peut pas expliquer « pourquoi  » lorsqu’il résonne le monde. Simplement, il ne peut pas ne pas le résonner.
Ou peut-être que je n’ai pas compris…
Rappelons ici que Julien Blaine est, entre autres choses, le fondateur de la revue DOC(K)S qui, depuis les années 75, explore et nous propose les alternatives poétiques contemporaines. (pour plus de renseignements : Akenaton – Doc(k)s : 7 rue Miss Campbell, 20 000 Ajaccio. www.akenaton.org)
En « dolci  » (pour rester dans l’idée du festin), quelques poèmes inédits clôturent pour de bon cette livraison avec six approches de la poésie. Je retiendrai, parmi ces propositions, cette séquence dont j’apprécie la simplicité si peu simpliste :
Les choses sont
Resserrées en elles
Une table complètement table
Sur elle
Une assiette, toute entière assiette.
MARIE-CLAIRE BANCQUART
Le mot de la fin ? Il y a un « ton  » INUITS DANS LA JUNGLE qui mérite d’être découvert. Un regret cependant ; qu’il n’y ait qu’un seul numéro par an. Maintenant, le premier est disponible alors … n’hésitez plus ! Si vous aimez défricher de nouveaux rivages, harcelez (peut-être pas jusque là mais insistez un peu…) votre libraire s’il ne l’a pas… Et offrez le à vos entourages. La poésie s’offre mieux qu’elle ne s’achète.
SOMMAIRE :
Alda Merini
Dossier traduit & présenté par Viviane Campi, Jacques Darras & Jean Portante
25 poètes d’Espagne
Choix et présentation de Françoise Morcillo, traduction de Françoise Morcillo, Laurence Breysse-Chanet et Jacques Ancet
Ricardo Molina, Manuel à lvarez Ortega, Pablo GarcÃa Baena, Jose Manuel Caballero Bonald, Antonio Gamoneda, Francisco Brines, Claudio RodrÃguez, Miguel Veyrat, Clarat Janés, Diego Jesús Jiménez, Amparo Amorós, Pere Gimferrer, Pureza Canelo, Antonio Colinas, Guillermo Carnero, Luis Alberto De Cuenca, Jaime Siles, luis Antonio De Villena, Andrés Sánchez Robayna, Juan Planas Bennásar, Santos DomÃnguez, Blanca Andreu, Carlos Marzal, Vincente Cervera Salinas, Juan Antonio González-Iglesias
Correspondance à propos du livre « Réouverture après travaux  »
Jacques Darras & Michel Deguy
Entretien à propos du livre « Al Kitab  »
Adonis & Jacques Darras
Poésie Totale
Julien Blaine
Poèmes Inédits
Jacques Roubaud, Yvon Le Men, Gabrielle Althen, Abdellatif Laâbi, Marie Claire Bancquart, Jean-Luc Steinmetz
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