« Un serpentaire de peau  » est extrait du « Bestiaire de Philippe Stern  » (1987). Ce texte a été repris par RICERCARE en 1993.
EXTRAIT :
A la table devant nous, un grand type fêtait je ne sais quoi avec je ne sais qui. Des basques, si j’écoutais leurs chants. Il mettait tellement de coeur pour accompagner ces complaintes qu’il maîtrisait mal... C’était touchant. Il avait l’air d’un gosse s’essayant à parler une langue inconnue. Visiblement, il ne comprenait pas un mot de ce qu’il chantait. Parfois, il déraillait même et éclatait d’énormes rires qui chaviraient la salle. Il s’en fichait royalement. Le mot « ridicule  » n’existait plus ! C’était du jeu à l’état de pure ivresse. Il semblait chez lui, prêt à entraîner tous les clients dans sa fête. Parfait ! Pile ce qu’il nous fallait. Rire, boire, pas pour oublier - non, jamais ! -, pour libérer notre envie de la voir vivre et faire la foire avec nous.
Il s’appelait Philippe aussi. Philippe M., un drôle de gabarit avec le vin joyeux et le regard clair à penser que la mort n’existait que pour les adultes. Un gamin qui avait décidé de jouer à la vie. Il s’en donnait à tripes perdues, croquant d’un regard toutes les filles passantes, buvant de tous les vins, mangeant comme un voleur avec les doigts autant qu’avec les dents. Il battait la mesure à contretemps mais battait si fort que nous ne pouvions que le suivre. Parfois, son regard s’arrêtait sur tel ou tel autre, il retenait son souffle et j’avais l’impression qu’il voulait être vous, être moi, me comprendre de l’intérieur. Puis, d’un mauvais calembour, il revisitait son monde, retournait à la fiesta.
![]() |