En mars 1983, le gouvernement Mauroy (bis) mettait en place le plan de rigueur imaginé par Delors et qui, définitivement, ancrait le Parti Socialise dans la Real Economy.
Dans ce plan qui, mine de rien, annulait les effets des redistributions connues depuis l’élections de Mitterrand en remettant au « centre du dispositif  » la primauté de l’économie sur la politique, il y avait une mesure de « contrôle des change  »â€¦ Qui s’en souvient ?
Normal, me direz-vous, pour un gouvernement de gauche de vouloir empêcher la fuite des capitaux. Tous ces richards qui partaient en loucedé se la couler bonnard en Suisse, à Monaco ou, pire, au Luxembourg… toutes ces richesses délocalisées…
On avait déjà connu cela en 68 (enfin, pas moi) et là , avec le second choc pétrolier, la dévaluation, le SME, l’Europe… Bref ! Fallait bien prendre une mesure radicale ! Quand l’histoire balbutie, les vieux pots sont à l’honneur ! Et puis, cela ne pouvait pas faire de mal à aux petits commerçants. Pour une fois que les français voyageraient en France ! Fini la Costa del Sol et vive Maubeuge ! (je n’ai rien contre cette ville mais chaque fois que je veux évoquer l’ennui, son nom me vient… Et pourtant ! Ses boulangeries, son église, son clair de lune…)
Donc, nous étions sommé de dépenser nos devises dans la limite territoriale de l’hexagone ou bien il nous faudrait « compter  » et limiter nos dépenses pour vivre la folle aventure du passage des frontières (fouille au corps, démontage des véhicules, ouverture des bagages…).
Pour moi, cela ne changeait rien. Aujourd’hui, je vous en parle mais c’est grâce à Wikipédia … A l’époque, je n’avais pas de télé, je ne lisais pas les journaux et n’écoutais pas la radio… J’avais bien d’autres choses à faire qu’à m’occuper des lois nouvellement votées dès lors que la peine de mort était abolie, les 39 heures appliquées, la cinquième semaine de congé payé mise en place (des congés payés ? c’est super ! par qui ? Ah ! il faut travailler…), le droit de vote accordé au femmes ( ???)… Bref ! Je n’étais pas très au courant de ce qui se passait. Mitterrand était président, cela me suffisait. Ensuite, … Je voyageais « léger  », comme on dit…
En fait, j’avais un sac à dos, un pouce habitué à attendre sur le bord de la route (pas de permis, trop cher…) et basta ! J’avais, depuis longtemps, pris le pli de n’avoir qu’un minimum de liquide sur moi. De toute façon, mon « pouvoir d’achat  » (expression, aujourd’hui, à la mode…) était plus que réduit… Mon compte bancaire n’avait qu’une valeur illusoire ; j’y déposais mes étrennes et quelques « rémunérations  » (je devrais écrire « gratifications  ») glanées lors de « petits  » boulots.
En juillet, j’attendais que Gra et Giuseppe aient fini leur chantier pour descendre avec eux en Calabre. Nous avions prévu ce séjour depuis longtemps… ils n’avaient pas prévu que les murs seraient si durs à casser, les vitres impossibles à sceller, le ragréage compliqué, ils n’avaient pas prévu que leur client les ferait attendre, faute d’argent. Et chaque jour nous devions partir le lendemain et chaque lendemain devenait un jour où nous devions partir le lendemain. Ad libitum.
Je me voyais déjà atteindre septembre et n’avoir vu de l’Italie que la pizzeria de la rue Belgrand !
Au lendemain du concert de Joan Baez (assis en tailleur à même les pavés de la place de la Concorde, je m’imaginais à Woodstock !), j’ai enfilé mes tennis, rempli mon sac sans oublier de prendre quelques livres (j’ai un bon dos !) et vogue la galère ! … Je ne croyais pas si bien dire…
Je vous raconterai un jour la traversée de Pontault-Combault, l’attente des VRP du matin dans une station d’autoroute du côté de Lyon, l’arrivée à Nice juste après la fermeture des banques... Oui, malgré ce que j’en dis, j’aurais bien aimé retirer quelques billets, histoire de ne pas être complètement à la cloche.
Je vous raconterai le voyage de Nice à Rome, le contrôle douanier – j’étais français, c’était cool –, le bout de route que je fis avec un tunisien – pour lui, ce fut moins cool…–, les ventes de cigarettes de contrebandes, tous ce qui fit le charme de ce périple qui me conduisit à la gare Termini où je décidais de me poser.
C’est là , dans cette gare qui n’avait pas encore ces magasins qui, aujourd’hui, l’encombrent et lui donne un air de Centre Commercial, que j’attendis huit jours durant l’arrivé de mes compères. L’idée était de me joindre à eux pour finir le voyage, parce que, franchement, j’en avais plein les pattes… Chaque matin, je scrutais les passagers descendant du Palatino. A l’époque, il y avait une barrière limitant l’accès aux quais aux seuls détenteurs de billets, ce qui n’était pas mon cas…
Les plus jeunes de mes lecteurs (des fois, je rêve…) diront sans doute, à lire ceci, « Ouah ! Fallait leur envoyer un SMS !  » Oui, d’accord… Fallait… Mais je n’avais pas le pouvoir de cet anachronisme…
Bref, vous vous en doutez, je ne vis jamais Gra et Giuseppe à la gare Termini. Ils ne passèrent jamais les barrières, leur correspondance étant sur le quai voisin…
Dans cette gare où je dormais, où je mangeais, où je parlais, où je vivais, j’ai rencontré je ne sais combien de personnes qui tous avaient une histoire, un passé, un avenir, qui, pour beaucoup, sont devenus les personnages de « L’arte della luna  » car la parole naissait souvent dans ces transits de nuit…
« Illia  » est extrait du cycle L’ARTE DELLA LUNA. Elle a été publiée en tiré à part par les éditions Beth Olam en 1989 puis reprise quasiment simultanément par L’ENCRIER, NOUVELLES NUITS et L’ANACOLUTHE en 1995.
EXTRAIT :
Je n’ai jamais cru qu’Illia n’était qu’une petite fille de onze ans, brà »lante, sale, aux petits seins naissants de gamine pré-pubère. Elle avait un geste si particulier pour se remonter les cheveux qu’elle ne pouvait qu’être la fille d’un gitan-roi, d’un prince de la nuit. Un geste qui ne s’apprend pas, une réponse, lorsque ta mère est ailleurs et que tu suces ton pouce de peur. Tu tortilles alors tes boucles et tu pries. Non. Illia n’était pas qu’une petite fille, elle avait l’âme de Rome en partage, elle était les vieilles pierres et les étudiants en colère. Elle était la crise bourgeoise, la littérature étriquée, l’avant-garde politique, la maffia et l’église, l’acqua senza gas que tu ne trouves jamais et le café trop sucré. Et si sa chemise était grasse des traces de ses cavales, ce n’était pas involontaire ! Une manière d’être libre, violente, autre que ces gamines qui sortent en bon ordre et saluent le christ sans voir la couronne d’épine. Elle était des Marie-Madeleine qui se foutent pas mal de recevoir la première pierre, au contraire ! Elle la revendique ! Elle ne voulait pas vivre dans l’attente. C’était un typhon qui ne pouvait que bousculer les habitudes, mes habitudes. Les tiennes. Parce qu’Illia tu l’as rencontrée, ou sa soeur, sa mère, son double. Elle est partout dans ces villes gravides de strates. Elle est le lien, le chant, le répons du repos tranquille et citadin. Elle est ton sombre épanoui.
![]() |